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Quatre poèmes

Quatre poèmes extraits de mon premier recueil "Vestiges de l'abandon".

TRIANGLE POLYVALENT

Un fil de fer 
Un triangle aux angles arrondis
De son sommet tournicotent les prémices
d’une tête curieuse et questionneuse
Que se demande-t-elle ?
Ce triangle est voilé, seule sa face est épargnée
Oui, c’est un triangle habillé
Un triangle du jour ordinaire, de la nuit apprêtée
Parfois, il laisse discrètement la porte ouverte
D’autres, il ferme dangereusement celle de la vie
Sa tête se penche vers la barrière,
vers l’échafaud où sont pendus ses frères
Et tous tournés dans une même direction,
ils prennent soin de laisser intactes,
les lisses matières ou les petites pliures
des plus adulées de nos parures.

 
 

AMNÉSIE MATINALE

C’est au moment où les volets sont mi-clos, que le soleil se penche vers la mer et que les paupières s'alourdissent, que mon esprit se met à cogiter vigoureusement, me retenant au bord du précipice de la rêverie profonde. Toutes ces pensées diffuses, brouillon, courent dans toutes les directions d’un dédale biscornu. Telles des centaines de cercles d’essaims, elles sont si abondantes, assourdissantes et volatiles que je ne parviens que rarement à en saisir une méticuleusement, à apprivoiser son sens, à profiler sa courbure. Et, exténuée par ce vacarme cérébral, le corps déjà plongé dans un abîme amorphe, je ne trouve la force de m’extraire de ma posture assommante pour figer quelques pensées précieuses sur la page plaignante. Alors, je laisse mon cerveau s’épuiser dans les recoins de la pensée, dans les replis des doutes, dans les tréfonds des tourments jusqu’au trou somnolent. Au réveil, je tente de me remémorer ces obstacles du sommeil ; ces mots étriqués, ces phrases désarticulées qui perturbent, qui excitent et qui tracassent. Hélas, ils ne m’apparaissent que par bribes, et celles-ci sont pleines d’une étrange fausseté, d’une immaturité navrante. Seraient-ce les restes de songes d’un introuvable imposteur ? Ces morceaux de pensées ne sont pas miens ; j’ai abandonné leur justesse au fond de mon inconscient, la nuit a emporté leur impulsion dans son drap noir. Ma journée commence par un creux violent, les ailes de ma pensée ont été mutilées au hachoir.

 
 

CLAIR-OBSCUR

à Mark Rothko

Une envie me prenait; celle de plonger dans ces œuvres, 
étrangement attirée par l’osmose clair-obscure
de l’éclat brutal qui vient étreindre les pupilles 
et qui laisse les bouches s’ouvrir pour ne rien dire. 
Des couleurs si vives qu’elles viennent se refléter 
jusque sur le visage taciturne et consterné
du contemplateur absorbé et éclairé. 
Les teintes que l’on sous estime s’accordent entre elles 
pour en enfanter des centaines de nouvelles,
imperceptibles à l'œil indocile qui sommeille. 
Ce n’est que lorsque l’on s’approche de la toile avec hardiesse, 
prêt à se noyer dans une forme monochrome et solennelle, 
que de nouvelles nuances jaillissent de l’intimité convoitée
que l’on croyait connaître, qui nous a échappée. 
Un bleu devient si pur à côté d’un rouge luisant, 
Un blanc devient si cru à côté d’un noir fumant,
Et toutes leurs sœurs se mêlent si déraisonnablement !
Poursuivre un espoir enfoui au creux du tableau,
Ressentir la véhémence qu’il emprisonne en son sein, 
derrière l’acharnement des coups de brosse assassins, 
des traces de pinceaux tracassés par l’agonisante main.
Transposer l’indélébile dramatique en rectangle sans fin,
métamorphoser la violence en une lumière sombre,
faire jaillir la clarté sous les couches de pénombre,
s’imprégner de l’inexpugnable douleur qui gronde,
et derrière la toile, la régurgiter au monde.

 
 

RIVIÈRE D’ARGENT

Une rivière d’argent frissonne
La bobine fait marche arrière
Le crucial est piraté
Le désir est crypté 
J’observe le lapin aux yeux rouges,
la carence réprimée 
Les objets sont bizarres
L’acier crisse dans la décharge 
Le refoulement s’étire
J’entends toutes les fréquences
grésiller vers une démence spiralée 

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